Rachid Al-Khayoun : Quand vous rencontrez un Juif irakien dans les rues d'Europe ou d'ailleurs, il se souvient de la cohabitation avec son voisin musulman ou chrétien.
Interviewer : Quand les Juifs irakiens ont-ils commencé à perdre ce sentiment de sécurité et de tolérance?
Rachid Al-Khayoun : Avec le renforcement du nationalisme panarabe en Irak, dès la fin des années 1940 et au début des années 1950. Le Juif est devenu la cible d'affronts délibérés. On connaît le patriotisme des Juifs irakiens. Ils n'ont rien à voir avec Israël. La question d'Israël et du sionisme...
Interviewer : Mais beaucoup de Juifs sont partis pour Israël.
Rachid Al-Khayoun : Ils ont été contraints de partir.
Interviewer : Par qui ?
Rachid Al-Khayoun : Par la vague de nationalisme panarabe en Irak.
Interviewer : Et ils ont cru qu'Israël serait mieux pour eux que l'Irak ?
Rachid Al-Khayoun : Ils ne sont pas allés directement en Israël. Ils ont fait escale en Europe, en Iran... Ils ont essayé de trouver un lieu provisoire d'où ils pourraient ensuite retourner en Irak. Vous ne serez pas surpris si je vous dis que le premier à envisager l'expulsion des Juifs d'Irak fut le "Grand Mufti de Jérusalem", Amin Al-Husseini.
Interviewer : Comment ? Amin Al-Husseini a expulsé les Juifs d'Irak en Palestine ?
Rachid Al-Khayoun : Oui, Amin Al-Husseini a joué un grand rôle, tout comme le nazisme allemand, en faisant sortir les Juifs d'Irak.
Interviewer : Comment ?
Rachid Al-Khayoun : À l'époque des pogroms du Farhoud, fin mai et début juin 1941 - appelés Révolution de Rachid Ali Al-Kilani... C'est bien connu. Les "héros" du Farhoud étaient Amin Al-Husseini et certains enseignants syriens et palestiniens. Je n'accuse pas ces gens de collaboration avec Israël, mais je les accuse de stupidité politique. Chasser un groupe constitué de médecins, de forgerons...
Interviewer : Comment est-ce arrivé ? Comment ont-ils poussé les Juifs irakiens à aller en Israël ?
Rachid Al-Khayoun : En organisant le Farhoud. Cela a été déterminé par des enquêtes gouvernementales...
Interviewer : Racontez-nous l'histoire.
Rachid Al-Khayoun :
Amin Al-Husseini se trouvait alors en Irak, ainsi que des enseignants
de Palestine et de Syrie. Ils croyaient que tout Juif est sioniste,
sans comprendre la mentalité des Juifs irakiens.
Les Juifs irakiens vivaient en Irak il y a 3500 ans. Quand Cyrus,
le roi perse qui a envahi et occupé la Babylone, a publié un décret
sur un cylindre d'argile - qui se trouve au British Muséum. Le décret
précisait que tout Juif qui souhaite retourner dans son pays, à Jérusalem,
peut le faire. Très peu d'entre eux y sont retournés. Ils ont dit
: C'est ici notre pays.
Aux débuts de l'Etat irakien moderne, le commandant français a parlé
aux dignitaires juifs irakiens - le commandant anglais, pardonnez-moi
- et a discuté avec eux de la déclaration Balfour. Ils ont dit catégoriquement
: "Ceci est notre pays, alors que Jérusalem et la Palestine sont
des lieux saints où nous nous rendons en pèlerinage, comme les musulmans
vont à La Mecque." Telle était la position des Juifs.
Interviewer : Pour en revenir au Farhoud, comment pouvez-vous
accuser Amin Al-Husseini et le nazisme allemand ?
Rachid Al-Khayoun : Ce n'est pas moi qui accuse. Il s'agit d'enquêtes
judiciaires gouvernementales. Les nationalistes panarabes ont incité
la foule à attaquer les Juifs pendant deux jours.
Interviewer : En juin 1941 ?
Rachid Al-Khayoun : Fin mai et début juin 1941. Plus tard, la décision
a été prise d'expulser Al-Husseini d'Irak à cause de cela.
[...]
Certains regrettent encore les Juifs d'Irak et sont affligés par
le départ des chrétiens et des Sabéens. Mais ce n'est pas la faute
de la population. C'est celle des gangs d'Al-Qaïda ou des milices communautaires,
dont le programme est d'expulser les Irakiens non musulmans du pays.