Ci-dessous des extraits
d'un entretien avec la journaliste soudanaise Lubna Ahmad Al-Hussein,
diffusé sur Al-Mihwar le 17 décembre 2009.
Lubna Ahmad Al-Hussein : Je ne suis pas la seule femme à avoir
été arrêtée. Des dizaines de milliers de femmes ont été arrêtées...
En un an...
Premier interviewer : Sur la couverture de votre livre, il y a une
photo qui en dit long. Vous portez un pantalon large, recouvert d'une
longue tunique. Si nous pouvions faire un gros plan sur la photo...
Lubna Ahmad Al-Hussein : Ce sont les vêtements que je portais quand
j'ai été arrêtée. Je tiens à souligner que ce voile est lourd et
ample, et que je ne le porte habituellement pas. Je porte un voile plus
léger. Mais ce jour-là, je m'étais lavé les cheveux, donc je portais
ce voile-là.
Premier interviewer : Ainsi une femme peut être fouettée parce
qu'elle porte des vêtements de ce type ?
Lubna Ahmad Al-Hussein :
Bien sûr. Comme je vous l'ai dit, je ne suis pas la seule. Il y a des
dizaines de milliers de personnes comme moi. En un an seulement, 43
000 femmes ont été arrêtées à cause de leurs vêtements - pas dans
tout le Soudan mais rien qu'à Khartoum, comme l'a déclaré le directeur
général de la police.
Deuxième interviewer : Lubna, vous êtes journaliste, et les journalistes
sont un exemple d'ouverture dans la société. Qu'avez-vous fait au
Soudan pour changer cette loi ?
Lubna Ahmad Al-Hussein : Cette loi, malheureusement... Cette clause
renferme une violence aussi bien morale que physique. La violence physique
se manifeste par le châtiment de flagellation, qui porte atteinte à
la dignité humaine. La violence morale se manifeste par la qualification
d' "actes indécents", qui fait que les dizaines de milliers
de femmes avant moi n'ont pas eu le courage de se plaindre. Les tribunaux
qui traitent ces cas ne sont pas des tribunaux ordinaires. Ce sont des
tribunaux spéciaux créés sous la présidence d'Al-Bachir. Ils sont
appelés "tribunaux d'ordre public", mais leurs noms ne cessent
de changer. Dans ces tribunaux, l'accusé n'a pas le droit de se défendre.
Deuxième interviewer : Pas du tout ?
Lubna Ahmad Al-Hussein : Non.
Premier interviewer : Il n'y a pas d'avocat ?
Deuxième interviewer : Alors pourquoi y a t-il procès ?
Lubna Ahmad Al-Hussein : Pardon ?
Deuxième interviewer : Quel est le sens du procès ?
Lubna Ahmad Al-Hussein : Dans mon cas... Vu la médiatisation et
le soutien public dont j'ai bénéficié, j'ai pris un avocat, qui m'a
défendue, mais le juge n'a pas laissé s'exprimer les témoins de la
défense. C'est ce qui s'est passé. Tout était décidé à l'avance,
et...
Premier interviewer : Lubna, n'avez-vous pas demandé au tribunal
ce que signifient des "vêtements indécents" ? Ce que vous
portez n'est pas... Qu'est-ce qui définit un "vêtement indécent"
?
Lubna Ahmad Al-Hussein : Cela dépend de l'humeur du gendarme.
Premier interviewer : Mais si quelqu'un porte une longue tunique,
un pantalon long, que ses cheveux sont couverts, où est l'indécence
?
Lubna Ahmad Al-Hussein : Je ne sais pas. La loi est entre les mains
des autorités.
Premier interviewer : Les autorités interprètent [la loi].
Lubna Ahmad Al-Hussein : C'est exact. "Des vêtements qui choquent
l'opinion publique". Je me trouvais en présence de 400 personnes
et je n'ai offensé personne. Cette même loi qui condamne à quarante
coups de fouet une femme qui porte un pantalon condamne à un mois de
prison un homme qui viole un garçon, une fille ou une femme. Néanmoins,
ils disent que c'est la loi islamique, alors que c'est en fait la loi
d'Al-Bachir.
Deuxième interviewer : A-t-on appliqué ce verdict dans votre cas,
Lubna?
Lubna Ahmad Al-Hussein : Non, mais j'ai été l'exception. Je ne
sais pas pourquoi. Toutes les femmes ont reçu des coups de fouet et
une amende. Tout le groupe... Nous étions treize femmes. Douze ont
été condamnées à des coups de fouet et à une amende. J'ai été
condamnée à une amende, mais ils ont refusé l'argent.
Deuxième interviewer : Donc ils arrêtent les femmes ainsi habillées,
et sans procès, ils mettent en œuvre le verdict ?
Lubna Ahmad Al-Hussein : Immédiatement. Sur le champ. Nous avons
été arrêtées un vendredi. Le verdict a été repoussé à dimanche.
La dernière à avoir été arrêtée est une jeune chrétienne de seize
ans - même pas musulmane - du sud du Soudan. Elle ne portait pas de
pantalon comme moi, mais une jupe qui, selon eux, était serrée.
Premier interviewer : Est-ce qu'une jupe est considérée comme
indécente ?
Lubna Ahmad Al-Hussein : Ils ont dit qu'elle était indécente.
Cela dépend de l'humeur du policier.