Dans une récente interview
télévisée diffusée sur la chaîne égyptienne
Dream 2 le 18 février 2010, l'ancien directeur général de l'AIEA
Mohamed ElBaradei se déclare prêt à "se lancer dans l'aventure
de la politique égyptienne, à condition évidemment qu'il y ait des
élections libres." Extraits :
Mohamed ElBaradei :
J'avais annoncé qu'en quittant mes fonctions de fonctionnaire international,
je souhaiterais agir pour l'avenir de mon pays d'origine, l'Egypte,
et faire tout mon possible pour l'aider à faire un bond vers la démocratie,
vers le progrès économique et social.
[...]
En tant que citoyen égyptien, quand j'entends un si grand nombre d'Egyptiens
me demander de jouer un rôle important, tout ce que je peux dire, c'est
que je vais répondre à l'appel, si l'occasion se présente de travailler
en Egypte et me permet de devenir un facteur de changement.
[...]
Je me tiendrai toujours aux côtés du peuple égyptien. Je suis prêt
à me lancer dans l'aventure de la politique égyptienne, à condition
évidemment qu'il y ait des élections libres. Cela va sans dire. La
porte doit être ouverte pour moi et pour d'autres. Comme je l'ai
dit, ce n'est pas un problème d'individu.
Si je me lance, la première mesure que je prendrai sera de modifier
certains articles de la constitution pour permettre aux Égyptiens qui
s'en sentent capables de se présenter aux élections. La seconde,
et la plus importante mesure, consistera à modifier l'ensemble du
cadre constitutionnel. Tant que nous n'aurons pas de cadre constitutionnel
basé sur la démocratie et le socialisme, au sens de la justice sociale,
nous demeurerons dans l'impasse.
[...]
Je ne suis pas autant intéressé par le poste de président que par
le processus de changement. Le changement est nécessaire.
[...]
42% des Egyptiens gagnent moins de cinq livres égyptiennes par jour.
30% de la population égyptienne ne sait ni lire ni écrire. Comment
pourrons-nous progresser si nous ne donnons pas à 30% des Egyptiens
les outils de base leur permettant de réfléchir et d'avancer ?
J'étais dernièrement à Cuba, où l'on vit sous les sanctions et le
siège des États-Unis depuis 40 ans. Le taux d'alphabétisation y est
de 100%. C'est possible.
Nous parlons d'éducation depuis plus de 50 ans et sommes pourtant
en 123ème position du classement mondial sur le développement humain.
Je ne crois pas qu'un seul Egyptien me contredira si je dis que ce
niveau ne sied pas à l'Egypte, qu'il est grand temps que nous changions
notre façon de faire afin que l'Égypte redevienne un acteur de premier
plan, un pays économiquement développé où les gens se sentent libres,
bénéficient de la justice sociale, [un pays] actif et influent dans
la région arabe.
[...]
Malheureusement, nous Arabes sommes devenus nos propres ennemis. Nous
voyons aujourd'hui combien de conflits et de guerres sévissent dans
le monde arabe. Nous sommes devenus un fardeau pour le monde. Je vois
et j'entends comment le monde nous considère. Il nous considère comme
un fardeau, comme un joug, car nous n'apportons rien à la civilisation
générale, ni dans le domaine des sciences sociales, ni celui des sciences
humaines ou naturelles.
Nous n'apportons rien, et nous nous sommes mis à parler comme au Moyen-âge.
Nous parlons de chiites, de sunnites, de coptes, de musulmans et de
Kurdes. Le monde, et nous au sein du monde arabe et islamique, évoluons
depuis des siècles. À mon avis, la civilisation arabe et islamique
traverse une phase de dégénérescence.
Israël et la cause palestinienne ont engendré instabilité et insécurité
régionales. Il n'y a aucun doute là-dessus. Depuis 1948, nous traitons
avec Israël de la pire des manières. Nous n'avons pas réussi à définir
un objectif précis et n'avons pas décidé de l'attitude à adopter
face à Israël - la guerre ou la paix. Aujourd'hui, on extermine la
cause palestinienne.
[...]
Nous discutions de ce que je considère comme une plaisanterie : le
processus de paix. Nous parlons de ce processus de paix depuis plus
de vingt ans, mais n'assistons qu'à l'érosion de la cause palestinienne.
J'ai assisté à l'évolution de la cause palestinienne quand je travaillais
à l'ONU. L'Etat palestinien représentait alors 44% du territoire arabe,
mais aujourd'hui nous parlons de 22% de la terre de Palestine.
Le droit de retour est garanti indépendamment de sa religion, mais
aujourd'hui, ils parlent de la judéité de l'Etat palestinien [sic],
ce qui signifie que les Palestiniens ne peuvent pas revenir à l'intérieur
de l'Etat, et l'on s'interroge sur le sort d'un million de Palestiniens
vivant en Israël.
[...]
Ce faisant, on continue à parler du processus de paix. Personne ne
nous prend au sérieux. Nous ne sommes même pas membres dudit "Quartet".
[...]
Aucun pays ne peut agir seul aujourd'hui. Où est [la coopération]
entre le monde arabe et les grands pays islamiques ? Où sont les liens
étroits entre l'Egypte, l'Iran, l'Arabie saoudite, l'Indonésie, la
Turquie et le Pakistan ?
[...]
Les Frères musulmans, les socialistes, les communistes - tous possèdent
une partie du territoire égyptien et devraient participer [à la gouvernance
du] pays, avec leurs idées et leurs capacités respectives, tant qu'ils
acceptent le cadre démocratique et le dialogue pacifique, et qu'au
bout du compte, le peuple égyptien aura son mot à dire.
[...]
Au bout du compte, c'est le peuple qui décidera, car le peuple est
souverain et source d'autorité. Nous avons dépouillé notre peuple
de la possibilité de gouverner et de prendre des décisions et c'est
pourquoi nous en sommes là aujourd'hui.
[...]
Interviewer : Dans le monde arabe, on craint souvent que certaines
forces idéologiques, de droite comme de gauche, n'empêchent autrui
de suivre la voie les ayant menés au pouvoir.
[...]
Mohamed ElBaradei : Les régimes du monde arabe ont-ils accepté
le principe qui veut que le pouvoir politique soit provisoire ? Ils
disent que si les islamistes accèdent au pouvoir, le régime ne passera
plus jamais entre d'autres mains. Ils ne sont pas un meilleur modèle
vu que dans la plupart des cas, ils ne passent pas le pouvoir.
[...]
Nous avons l'habitude de dire que la Constitution égyptienne est
fondée sur la Constitution française, mais la Constitution égyptienne
n'en est qu'une réplique déformée et faussée. Elle ne ressemble
en rien à la Constitution française, excepté dans sa forme.
[...]
Je n'ai vu aucun chef arabe se rendre au Darfour. Tous les dirigeants
et responsables internationaux sont allés au Darfour. Or nous considérons
le Darfour comme s'il se trouvait en Amérique centrale. Je n'ai pas
vu un seul dirigeant ou responsable arabe se rendre en Somalie. Je n'ai
pas vu un seul dirigeant ou employé arabe se rendre en Irak. L'Irak
a été détruit et brisé en morceaux, mais je n'ai vu ni le monde
arabe, ni la Ligue arabe, le placer sous son aile.
[...]
Après l'attentat du 11 septembre 2001, le président Bush et son administration
ont pris la décision, comme nous le savons maintenant, d'attaquer et
d'humilier un pays arabe, en représailles à l'attaque contre les deux
tours de New York.
[...]
À mon avis, le président Ahmadinejad, comme tous les autres dirigeants
iraniens, souhaite un règlement global de ses relations avec l'Occident.
[...]
Plusieurs des événements actuels résultent de la méfiance. Il faut
donc casser la barrière psychologique qui existe entre l'Iran et les
Etats-Unis depuis 50 ans. Ils attendent de voir qui va ciller le premier,
comme dit l'adage.
À mon avis, ces deux pays sont comme deux gros éléphants qui se jaugent
avant de copuler, afin d'arriver à un meilleur arrangement.